Boucs-émissaires en organisation

Boucs-émissaires en organisation : quelles régulations du phénomène ?

article de Mélia DJABI, et Oriane Sitte DE LONGUEVAL.

dans la revue M@n@gement, volume 23, no. 2, 2020, pp. 1-42.

Un article d’un très grand intérêt, qui ouvre des perspectives méthodologiques et fonctionnelles très riches.

Un article qui, par ailleurs, cite généreusement les travaux de l’Observatoire du bouc émissaire et ceux de Rémi Casanova

L’article « boucs émissaires en organisation » commence ainsi :

Alors qu’il était en route pour rejoindre sa fiancée, Joe Wilson est arrêté par la police. Un détail l’accuse d’avoir enlevé une petite fille. Rapidement, la ville, hystérisée par quelques meneurs et dans un élan de justice primitive, prend d’assaut la prison dans laquelle Joe Wilson était enfermé, et la brûle. La violence dont la foule fait preuve est sciemment ignorée par les autorités et finit par contaminer la victime préfabriquée, emportée à son tour par un désir de vengeance. Inspirée d’un authentique fait divers, cette histoire est celle du film Furie (1936) réalisé par Fritz Lang et dont le rôle principal est magistralement tenu par Spencer Tracy. Dérangeante par le miroir qu’elle nous tend, elle rend compte, non sans résonance avec les lois tardiennes de la contagion violente (Tarde, 1993 [1890]), de la propension des groupes humains à sacrifier des boucs-émissaires face à la peur et la colère.

L’article « boucs émissaires en organisation » se termine ainsi :

Pour conclure, cette étude exploratoire avait pour ambition de comprendre comment les protagonistes de la bouc-émissairisation participent à réguler le phénomène. Les résultats ont permis de mettre en exergue quatre issues de bouc-émissairisation conduisant à la réclusion, l’éviction, l’assimilation ou la cohabitation du bouc-émissaire. Il est apparu que la bouc-émissairisation pouvait être renforcée ou entravée et que ce dénouement résultait de l’articulation des différentes actions menées par les protagonistes du phénomène. Cela étant, cet article permet d’enrichir les travaux en anthropologie, en psycho-sociologie et en sciences des organisations, en montrant que loin d’être linéaire, la bouc-émissairisation peut au contraire être régulée par ses protagonistes. Finalement, cette étude nous interroge sur la capacité des acteurs organisationnels à ignorer sciemment, voire à souscrire aux violences et injustices en cours. Dans le même temps, elle nous engage dans un effort herméneutique pour comprendre l’intolérable (Linstead, 2013), là où chercheurs et praticiens, comme les premiers spectateurs du film de Fritz Lang (évoqué en ouverture de ce papier), sont parfois tentés de fermer les yeux. Afin d’entraver au mieux les phénomènes de bouc-émissairisation en organisation, nous invitons les recherches futures à poursuivre leurs investigations pour nous aider à mieux le voir et le décrypter.

On trouve dans l’article « boucs émissaires en organisation (p.2 du pdf) :

Comme le fondateur de l’Observatoire du bouc-émissaire et des violences institutionnelles l’affirme (Casanova, 2014a), toutes les époques, tous les espaces, toutes les fonctions et tous les statuts sont a priori touchés par le phénomène. Les boucs-émissaires apparaissent ainsi dans la plupart des groupes sociaux (Gemmill, 1989) et les organisations n’échappent pas à la règle.(…)

On trouve également dans l’article « boucs émissaires en organisation » (p.4 du pdf) :

Aussi, le terme désigne simultanément « l’innocence des victimes, la polarisation collective qui s’effectue contre elles et la finalité collective de cette polarisation » (Girard, 1982, p. 60). La bouc-émissairisation à laquelle nous nous référons constitue donc un processus, que Casanova (2010, p. 107) définit comme « plus ou moins ritualisé, d’exclusion et de substitution, souvent d’expulsion et d’expiation ». Il ajoute que « son incarnation […] permet au groupe une réconciliation momentanée en attirant sur elle une violence suffisamment forte et unanime » (Casanova, 2010, p. 107). Ces travaux permettent de préciser les modalités de sélection des victimes émissaires ainsi que les étapes qui rythment le processus de bouc-émissairisation.

On trouve aussi dans l’article « boucs émissaires en organisation » (p.10 du pdf) :

Dans le cadre des études initiales, menées sur la socialisation et l’inclusion/l’exclusion au travail, plusieurs sources de données ont été collectées (entretiens, observations, données secondaires), mais la principale modalité de recueil a été l’entretien semi-directif. Les individus ont été interrogés sur les changements dans leur travail et au sein de leur collectif, ainsi que sur leurs problématiques quotidiennes d’intégration.

Parmi les treize collectifs étudiés, cinq se sont avérés héberger des cas de bouc-émissairisation précisément identifiables à partir des récits rétrospectifs du phénomène fournis par les membres de ces collectifs. En tout, sept bouc-émissaires ont pu être repérés, deux collectifs (1 et 5) ayant connu le phénomène à deux reprises. Ces collectifs sont de taille variable, allant d’une dizaine à plusieurs dizaines de personnes en fonction des établissements et des horaires de travail (jour/nuit).

L’article, passionnant, à lire en intégralité : ici